Toilettes sèches à LaSemo

Toilettes sèches : gestion logistique et vide juridique

Il y a presque 15 ans, la RTBF¹ évoquait le problème du manque de toilettes sèches en Belgique lors de la période des festivals. À l’époque, l’organisateur d’un festival à Pont-à-Celles se plaignait de l’offre réduite : “On a dû faire appel à trois fournisseurs différents pour obtenir quinze cabines. Même sur internet on a eu des difficultés pour trouver ce qu’on cherchait“².

Si en 2023, l’offre semble s’être étoffée en la matière, de nombreux festivals fonctionnent encore avec des toilettes chimiques. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix comme le partage le responsable logistique d’un festival wallon : “Logistiquement c’est souvent plus compliqué avec les toilettes sèches. Ça demande de s’y prendre beaucoup plus à l’avance et il est rare de pouvoir tout obtenir auprès d’un seul fournisseur quand on a besoin de grandes quantités. Les toilettes sèches ça demande aussi plus de main d’œuvre, il faut du personnel pour les gérer, et c’est un poste pour lequel il est souvent difficile de recruter des bénévoles.

Un constat partagé par les fournisseurs de toilettes sèches : “s’il y a des organisations qui ont des équipes spécifiques pour gérer les vidanges, le nettoyage et l’approvisionnement en sciure de bois des équipements lors de leur événement, celles-ci sont encore très rares. Beaucoup d’organisateurs d’événements et de festivals ne se rendent pas compte, ou sont simplement mal informés, du travail logistique que ça représente d’avoir des toilettes sèches. Ça devrait pourtant être la norme quand on voit le potentiel en matière d’économies d’eau et de retour à la terre” explique Reinout³ de la coopérative Daarom Wel!⁴ active dans la location de toilettes sèches. 

Car faire le choix des toilettes sèches ce n’est pas seulement poser un acte en matière de gestion hydrique, c’est aussi s’engager dans un cycle bénéfique pour la biodiversité et l’alimentation durable. Après l’événement, les déchets organiques des toilettes sèches sont compostés via des dalles à fumier ou des composts spécifiques qui pourraient ensuite servir à enrichir les sols pour y faire pousser des légumes ou autres ressources alimentaires. Une pratique qui en est encore à ses balbutiements et qui est, entre autres, expérimentée en Flandre par Daarom Wel! via son projet de ferme coopérative⁵ et en Wallonie par La Taupe au Guichet⁶. Les deux organisations dénoncent cependant le manque de cadre juridique en matière de gestion des déchets de toilettes sèches mais aussi le manque de soutien financier pour la construction de dalles à fumier par exemple. Le compostage coûte cher car il demande aussi d’analyser les échantillons de déchets organiques en laboratoire pour évaluer leur qualité avant de pouvoir les répandre comme compost.

Face à ce vide juridique, nos voisins hexagonaux ont créé, il y a dix ans déjà, le RAE⁷ afin de rassembler tous les acteurs du secteur. Un réseau dont fait partie Gaëtan de l’asbl La Taupe au Guichet : “C’est vraiment essentiel de se rassembler en réseau, je suis le seul belge membre du Réseau d’Assainissement Écologique et j’aimerais qu’on puisse aussi mettre en commun nos expériences et nos ressources en Belgique. Cela permettrait peut-être d’avoir une voix plus forte au niveau des pouvoirs publics pour avoir des soutiens mais aussi un cadre légal pour le transport et le compostage des déchets organiques.

En France, le RAE a quatre objectifs principaux : “fédérer les acteurs de l’assainissement écologique, soutenir et accompagner ses membres, être un interlocuteur pour les pouvoirs publics et produire et mutualiser des informations, documents et ressources.”⁸ Si le réseau existe depuis plus de dix ans, l’Hexagone souffre aussi d’un énorme flou juridique en la matière comme l’explique Annie Gauthier de Compost’elles⁹, une organisation dans le département du Rhône : “Rien qu’en matière du transport de ce type de déchets il y a un vide juridique, il n’y a pas de code déchet comme pour les autres types de déchets organiques. Je sais que pour le compostage c’est toléré dans certains cadre particuliers mais la plupart font cela ‘dans les règles de l’art’ pour ainsi dire parce qu’ils ou elles connaissent un ou une agriculteur.trice qui a une dalle à fumier à mettre à disposition. Ne serait-ce pour les urines qui sont un véritable engrais qu’on peut valoriser c’est encore flou.

Des difficultés qui ne facilitent pas l’émergence de la filière toilettes sèches en Belgique car autant au niveau des coûts que du point de vue logistique, les toilettes chimiques s’avèrent être toujours plus accessibles pour les organisateurs d’événements aujourd’hui : pas de montage ou démontage et elles peuvent être vidangées dans des citernes de 1000 litres directement reprises par le fournisseur. Les produits utilisés ont aussi changé et les fournisseurs, utilisant des produits chimiques très puissants (contenant notamment du formaldéhyde) néfastes pour la santé et l’environnement, se font de plus en plus rares. Les vidanges passent par une station d’épuration au même titre que les eaux usées d’une toilette standard raccordée au réseau.

Il est cependant évident que les mentalités changent tant au niveau des organisateurs d’événements que des visiteurs et que la filière ne peut que se développer de manière encourageante. Et ce, en passant notamment par la création d’un réseau belge, d’une mise en commun des ressources et d’une oreille attentive de la part des pouvoirs publics. “On se rend bien compte que les mentalités des gens changent. Quand les visiteurs arrivent sur un festival le vendredi et voient des toilettes sèches, ils sont contrariés et le dimanche quand ils repartent ils sont convaincus. Comme pour tout changement, cela demande un temps d’adaptation et de compréhension” ajoute Reinout de Daarom Wel!

Une piste pourrait donc être de soutenir les fournisseurs mais aussi les organisateurs d’événements qui feraient la démarche de mettre des toilettes sèches à disposition lors de leurs événements avec des équipes formées pour expliquer, entretenir et nettoyer les équipements. Car pour Renato et les autres fournisseurs, la filière toilettes sèches est un devoir écologique et doit s’entrevoir comme un projet coopératif bénéfique pour la planète avant de se transformer en un énième service lié au business événementiel. Dossier à suivre donc.

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¹ https://www.rtbf.be/article/les-festivals-a-l-heure-des-toilettes-seches-5151373

² Ibid.

³ Repreneur de Green Corner Toilets (Raf Everaerts)

https://www.daaromwel.be/

www.welenhoeck.be

https://lataupeauguichet.be/asbl/

https://reseau-assainissement-ecologique.org/

Ibid.

⁹ http://compostelles.fr/