Tempête dans un gobelet
Le quotidien Het Belang van Limburg partageait dimanche le fait que quatre grands festivals flamands – Rock Werchter, Pukkelpop, Graspop et Tomorrowland – et une vingtaine de plus petits remettaient en cause l’utilisation de gobelets réutilisables sur leurs festivals. Entre impact écologique, volet économique et gestion logistique, retour sur un éternel débat.
La première crainte évoquée concerne la quantité de gobelets réutilisables disponibles. Ainsi, Nele Bigaré de Rock Werchter évoque, au travers de l’article, un besoin de 2 millions de gobelets réutilisables et Tomorrowland quelques 500 000 par jour. Pour Christophe Lampertz, responsable de Re-Uz Benelux, il n’y a pas de problème de stock chez nous : “Si c’est bien anticipé tout est faisable, rien que chez Re-Uz Belgique on a plus 2,5 millions de gobelets en stock et la France peut venir en soutien rapidement pour du générique en cas de besoin. Il y a des vases communicants qui s’opèrent. Le secteur peut répondre à toute la demande si c’est prévu bien à l’avance.”
Ensuite est avancé le problème du nettoyage de ces gobelets qui impliquerait jusqu’à 6 fois le nombre de transports nécessaires comparativement à des gobelets jetables. Pour Christophe Lampertz, c’est de nouveau un argument qui ne fonctionne pas : “La question des centres de lavage ne me fait pas peur du tout. Il y a un véritable réseau de centres de lavage qui se développe en Belgique et le marché belge est très bien fait et très bien réparti.” Ainsi entre tous les fournisseurs de gobelets belges on compte près d’une dizaine de centres de lavage dont plusieurs peuvent accueillir des grandes quantités à la fois.
De plus, comme le souligne Karl Beerenfenger, chef de projet chez Recycling Netwerk Benelux, dans l’article : “Le transport et les coûts de l’eau et de l’énergie pour recycler les gobelets jetables sont vite sous-estimés.”
Il est important de rappeler que la mise en place de gobelets (et de vaisselle) réutilisables demande de repenser la logistique des bars, de mettre effectivement en place un système de caution pour les récupérer, de sensibiliser publics et équipes et, pour des festivals aussi grands, de potentiellement mettre en place des stations de lavage sur place à l’instar du Paléo Festival en Suisse. Ce dernier, en plus des gobelets réutilisables, est aussi passé entièrement à la vaisselle réutilisable et pour ce faire occupe 300 personnes dédiées au ramassage, lavage et remise en circulation des gobelets et éléments de vaisselle réemployable. Le site Blick a d’ailleurs réalisé une petite vidéo sur les coulisses de la vaisselle au Paléo.
Optimiser la logistique
Les chiffres ne mentent pas et il est évident qu’à usage unique un gobelet jetable est moins impactant pour la planète qu’un gobelet réutilisable. C’est pourquoi la mise en place de gobelets réutilisables doit s’inscrire dans une perspective de long terme avec une mutualisation entre événements, en utilisant des gobelets génériques et non personnalisés – qui pourront resservir sur tout autre type d’événement-, en prenant soin de leur stockage et remise dans le circuit et en acceptant de consacrer du temps à la mise en place de la logistique nécessaire. Pour reprendre les mots de Mathieu Bogaerts de BME dans notre article consacré à la mise en place de vaisselle réutilisable publié l’année passée : “Pour les gobelets, il faut arrêter d’avoir peur et de croire que c’est vraiment compliqué, si on trouve le bon partenaire ca roule tout seul. Pour ce qui est de la vaisselle réemployable on est encore en phase de test et il y a en effet plus d’implications mais de toute façon, tout ce que je peux conseiller aux gens et organisateurs c’est d’anticiper : soyez prêts parce que de toute façon ça va arriver.”
Le gobelet réutilisable aussi source de sensibilisation
S’il s’agit ici d’un impact moins quantifiable, notre expertise en matière d’accompagnement d’événements nous permet notamment d’affirmer que les gobelets réutilisables ont un rôle significatif à jouer au niveau de la sensibilisation des publics. Et ce, au même titre que le tri des déchets ou que la mise en place d’une offre alimentaire peu (ou pas) carnée par exemple.
Comme le souligne Karine Van Doorsselaer de l’Université d’Anvers dans l’article, il est évident que les “arguments avancés par les quatre festivals en question sont plus d’ordre économique qu’écologique” et que le virage difficile qu’ils doivent opérer cette année aurait pu (et dû?) être anticipé bien avant. Refuser d’expérimenter et de changer sa manière de faire témoigne aujourd’hui de la part de ces grosses structures événementielles d’un manque criant de prise de conscience par rapport au besoin de transition durable du secteur.
De plus en plus d’exemples concluants venus d’organisations de tailles similaires se font connaître et sont réplicables en Belgique. Et les directions de ces événements doivent s’attendre à une demande en la matière qui vient aussi des publics, plus militants et engagés, et des partenaires qui ne souhaitent pas être associés à la création de déchets supplémentaires et évitables. Une pétition allant dans ce sens avait d’ailleurs été lancée en 2023 pour appeler les festivals à changer leurs pratiques en 2024. En France, Fairly et BMA-Impact(s) ont commandé en 2023 une étude intitulée “L’impact social et environnemental des concerts et festivals : un enjeu d’importance pour le public” qui montre bien l’intérêt croissant des publics pour des pratiques plus durables dans le secteur des festivals. Ainsi, 83% des spectateur·rice·s régulièr·e·s de concerts et festivals jugent « qu’il est important que les organisateurs de spectacles musicaux progressent sur tous les enjeux RSE ».