Photo du débat mouvant lors de la wavemaker session

Nouveaux récits pour un futur désirable – Wavemaker Session 

Grâce au soutien de la Fondation Roi Baudouin, nous avons eu l’opportunité d’organiser une Wavemaker Session le mardi 15 octobre à la Tricoterie, réunissant 60 participants : jeunes et moins jeunes artistes, programmateur·rices, directeur·rices d’associations culturelles, et bien d’autres acteur·rices engagé·es.

Sous le thème des nouveaux récits dans les pratiques artistiques, nous avons souhaité sortir du cadre traditionnel des conférences. Voici un aperçu des interventions et des échanges qui ont animé cette soirée.

1. Qu’est-ce qu’un nouveau récit ?

Par Colas Van Moorsel, professeur à l’IHECS du cours “Nouveaux imaginaires : créativité et sources d’inspiration” 

Un récit est une forme de narration relatant des événements réels ou imaginaires permettant de : 

  • Donner un sens, 
  • Transmettre un message,
  • Susciter des émotions,
  • Pousser à l’action.

Tout ce qui compose notre société repose sur des récits. Comme l’explique Yuval Noah Harari dans son livre Sapiens, une brève histoire de l’humanité, les groupes humains de plus de 150 individus se sont formés grâce au partage de récits qui ont créé des liens et des connaissances communes. Cette capacité à raconter et à imaginer des histoires permet aux humains de vivre en société, même en grand nombre.

Les récits collectifs (films, publicités, idéologies, etc.) façonnent notre perception du monde – passé, présent et futur. Un exemple frappant est celui du Plan Marshall : dans le cadre de ce plan, les Américains ont négocié 60% des droits de diffusion sur les écrans européens. Cela a profondément influencé l’imaginaire collectif. 

  • En 1945, 57% des Français·es estimaient que l’URSS avait joué le rôle principal dans la défaite de l’Allemagne. 
  • Mais en 2004, après des décennies de diffusion de films comme Il faut sauver le soldat Ryan, l’opinion s’était inversée : les Français·es considéraient désormais que les États-Unis étaient les principaux artisans de la victoire.

Pensez aux films futuristes : combien d’entre eux dépeignent un avenir où il fait bon vivre pour l’humanité et l’ensemble du vivant ?” La majorité de ces récits sont catastrophiques. Alors, que faire ?

Il est essentiel de créer une nouvelle vision, un regard optimiste, inspirant et réaliste pour rendre la transition écologique désirable et accessible. La culture, avec sa capacité à traduire des concepts en émotions, a un rôle clé à jouer dans cette transformation des mentalités.

2. Concrètement, comment porter des nouveaux récits de la transition écologique ? 

Avec Aline Yasmin, directrice de l’association Espirito Mundo et du projet Color Green

Le projet “Color Green” incarne l’exemple concret d’une nouvelle vision à travers la création artistique. Ce programme pluridisciplinaire, destiné à la jeunesse créative, vise à sensibiliser aux enjeux sociopolitiques et environnementaux tout en encourageant des pratiques artistiques durables.

47 jeunes participant·es ont travaillé pendant deux mois selon un modèle coopératif et durable. Face à la précarité économique, ils ont expérimenté des techniques respectueuses de l’environnement. Mais les écoles d’art n’offrent encore que trop peu de compétences sur ces enjeux, d’où l’importance du projet, qui a donné naissance à 45 œuvres issues de matériaux récupérés, comme les instruments de musique faits main par Caldeira Dos Santos.

Photo des interventions lors de la wavemaker session sur les nouveaux récits
©Alex Cepile

Pour Aline Yasmin, la crise climatique est avant tout une question sociale et humanitaire. À travers Color Green, un modèle horizontal, bienveillant et non compétitif a été mis en place. Ce microcosme incarnait un monde que nous souhaitons voir émerger, fondé sur la beauté des gestes, l’intelligence collective et la circularité des actions – autant de réponses aux défis de notre société.

3. Que pensent les citoyen·nes ou artistes des nouveaux récits ?

Sous la forme d’un débat mouvant, les participant·es ont partagé leurs réflexions :

Les artistes ont-ils le pouvoir de changer la société ?

  • « Les artistes ont déjà changé la société, mais tout le monde le peut. On ne ne fait pas société seul. »
  • « Ce n’est pas seulement aux artistes de changer la société, c’est un pouvoir partagé par tous·tes. »
  • « J’ai envie de croire que les artistes ont le pouvoir de changer la société mais on est dans des systèmes tellement figés. Quand on essaie d’en sortir, on nous remet dans la boîte. »
©Alex Cepile

Les récits utopiques sont plus utiles que les récits dystopiques pour mobiliser les gens.

  • « Les récits utopiques sont parfois trop simplistes. Alors que de nouveaux récits émergent de récits catastrophiques. » 
  • « Nous sommes face à une fausse question : les récits dystopiques restent utopiques car ils sont inscrits dans les normes sociales actuelles, figées. Les récits dystopiques sont la prolongation de nos normes sociales, à la fin du film dystopique, le héros embrasse toujours l’héroïne. Il n’y a finalement pas de changement. La question à se poser est plutôt, quel horizon politique cherche-t-on ? »

Est-ce qu’il faut des problèmes pour faire une bonne histoire ? 

  • Selon la Théorie de la Fiction-Panier, « la civilisation se nourrit de récits héroïques et tragiques où n’existent que la violence et le conflit. Comment faire pour raconter une histoire prenante et épique sur des moments de bienveillance et de paix ? »
  • « Si on reprend la théorie classique : il faut un problème, un élément déclencheur pour pousser le héros vers la transformation. »
  • « Très peu d’ouvrages sur un futur où les choses se passent bien. Il ne nous manque pas des récits où l’humanité survit (il n’y a que ça), mais plutôt où elle change et réinvente son présent à partir de maintenant. »

4. Qu’est-ce qu’on en retient ?

Cette soirée a révélé à quel point la culture peut jouer un rôle central dans la création de nouveaux récits pour bâtir une société plus écologique et solidaire. La question reste ouverte : la culture doit-elle nécessairement porter cet engagement, ou peut-elle se détacher de ces responsabilités et rester libre dans son expression ?

Pour aller plus loin : l’ADEME a sorti un nouveau rapport “Mobiliser la société à travers le prisme de l’imaginaire”. On vous recommande de lire les synthèses et perspectives (p 31-32) dont voici un extrait :

Ensuite, ce rapport nous a permis de montrer que la transition culturelle se caractérise par un double mouvement qui consiste à la fois à remettre en question les récits dominants devenus obsolètes face aux bouleversements en cours, tout en parvenant à adhérer collectivement à de nouveaux récits de société plus soutenables, que ce soit à travers la culture et les territoires.

Jules Colé, Mobiliser la société à travers le prisme de l’imaginaire, ADEME, 2024, 42 p.

Nous remercions la Fondation Roi Baudouin, les intervenant·es, Colas Van Moorsel et Aline Yasmin ainsi que les artistes du projet Color Green : Caldeira Dos Santos, Marvin Grondin, Clémentine Jakout Van Erp, Aymar Mercantile, Sarah Zahran, Plasticaaangel (Julien Pavlenko) et Laëtitia Troilo. Merci également à la Tricoterie.