EventChange à Nantes pour les BIS
Les Biennales Internationales du Spectacle (BIS) de Nantes sont incontournables pour les professionnels du secteur. Avec un Espace Développement Durable (DD) ultra fourni et débordant de personnes engagées sur les causes de transition écologique, il nous paraissait évident d’aller y pointer nos petits nez belges.
Au programme durable de cette dixième édition, un accent mis sur les questions énergétiques, celles de transition et décarbonation, dont découlent inévitablement la question du futur de la filière et des collaborations et mutualisations nécessaires. Ont notamment émergé des différentes conférences et débats, le besoin urgent pour les opérateurs culturels de collaborer davantage et de discuter de leurs programmations respectives pour éviter redondances et non-sens écologiques, particulièrement concernant le déplacement d’artistes.
Artistes et mobilité
Ce sujet fait l’objet d’un chantier entrepris par le Collectif des Festivals, Music Declares Emergency France, DJ4 Climate Action et Technopol. À travers le projet de développement des “Circuits-courts artistiques“, l’objectif est de pouvoir continuer de programmer des artistes internationaux dans les festivals européens à des coûts écologiques acceptables en misant sur les modes de déplacement bas carbone tout en améliorant la coopération entre les structures, les conditions de travail des artistes et l’ancrage territorial des événements. Tout part d’un constat simple : on peut réduire de 25% l’empreinte carbone des artistes sans modifier les pratiques de programmation, simplement en travaillant sur la mobilité¹. Ainsi, le temps de trajet supplémentaire pour arriver à ces 25% de CO2 en moins est seulement de 1h30 par trajet en moyenne² et permet de diviser par 6 l’empreinte carbone des artistes³.
Plus d’une quarantaine d’acteurs du secteur sont intéressés par le projet qui, à ce stade, n’en est qu’à ses balbutiements. Pour ce faire, l’idée est d’organiser une tournée expérimentale avec des artistes européens en 2023. Une initiative qu’il est d’ores et déjà possible de rejoindre et que nous suivrons avec attention au cours de l’année.
Réduire les jauges
Un concept récurrent au sein des différents ateliers et conférences de l’Espace DD était celui de la réduction des jauges. Fanny Valembois (The Shift Project) présentait “Ralentir, réduire les échelles, renoncer : il est urgent de changer de modèle“. Elle y expliquait très justement qu’il nous fallait prendre le contrepied du toujours plus grand et toujours plus compétitif. Ainsi, une voie possible de décarbonation est de réduire la jauge des événements. Le déplacement des publics est le poste qui émet le plus d’émissions lors d’un événement, donc plutôt que d’organiser un gros événement qui draine des publics des quatre coins du territoire, pourquoi ne pas organiser dix événements de taille réduite à différents endroits du territoire ? Une piste qui s’applique d’emblée plus facilement au territoire Français qu’à notre plat pays mais qui ne doit pas nous empêcher de mener une véritable réflexion en matière de réduction des jauges et de mobilité des publics en Belgique.
C’est exactement le parti pris par Panoramas, festival de musique électronique et hip-hop situé à Morlaix (Bretagne). Après 25 ans et deux années de pandémie, WART (l’association qui organise le festival) a décidé de se questionner et de repenser son événement. Si la dimension écologique rentre évidemment en compte, l’idée de réduire la jauge de l’événement vient aussi, et surtout, de raisons économiques. Le festival accueillait jusqu’à présent près de 30 000 festivaliers chaque année et ne parvenait pas à être rentable. À cela s’ajoute la disparition du facteur plaisir pour les équipes renforcée par la tenue de deux événements réduits à 2000 personnes, initiés en contexte covid, qui ont ouvert les yeux de l’organisation. L’objectif est donc de réduire la jauge de moitié (15 000 festivaliers) et de revenir en centre ville. WART souhaite aussi mettre l’accent sur le plaisir des équipes, créer des installations qui peuvent rester à l’année et revoir complètement les questions écologiques et alimentaires. L’idée est de changer sur deux-trois ans avec un premier test lors de l’édition de septembre 2023.
Alternatives énergétiques
Dans l’esprit de réduction, nous avons pu participer à des discussions sur les alternatives énergétiques dont les conclusions principales concernent le fait de réduire ses besoins mais surtout de mieux les mesurer. De nombreux professionnels de la technique expliquaient, lors des ateliers tenus au “CosyLab”, que les organisateurs de festivals ou les responsables de salles avaient très souvent tendance à surévaluer leurs besoins en énergie. Ils se retrouvent donc avec de quoi alimenter dix fois leur événement. C’est dans cette optique que le collectif SO WATT propose des armoires intelligentes permettant de mesurer précisemment la consommation électrique d’un événement pour dessiner une cartographie complète de l’énergie utilisée mais aussi perdue sur un événement. Le collectif travaille également sur un simulateur de consommation électrique qui devrait être opérationnel d’ici l’été. Les générateurs électriques ont dès lors aussi été présentés comme des alternatives tout à fait fiables à leurs cousins à moteurs thermiques permettant d’en finir avec les émissions directes de gaz à effet de serre. On retiendra que mesurer sa consommation aux différents postes clés permet de mieux comprendre et donc prévoir ce dont on a réellement besoin.
Exception culturelle?
David Irle l’avait dit lors du Forum de la Culture Durable organisé par EventChange à Namur le 22 novembre 2022, et l’a répété lors des BIS à Nantes : “On n’a pas le droit de détruire la planète au nom de la culture“. La question d’exception culturelle, qui elle-même pose donc celle de la nécessité de transformation de la filière culturelle, était sur toutes les lèvres au sein de l’Espace DD. Et les différents intervenants sont unanimes sur la question : il faut changer de modèle et comme le disait Malika Séguineau (Prodiss) : “C’est une erreur de brandir l’exception culturelle pour continuer comme on le fait aujourd’hui“. Un problème se pose encore afin de concrétiser une trajectoire de transition pour la filière culturelle : le manque de chiffres concrets imposés par le législateur. Céline Portes (ARVIVA) insistait sur ce besoin de réglementation et d’objectifs chiffrés, qui doivent être fixés dans une loi, sans quoi il est impossible pour le secteur d’avancer de manière commune et cohérente vers les objectifs de réduction et de transition énergétique imposés par les engagements légaux au niveau européen.
Enfin, les BIS étaient l’occasion de faire le point avec de nombreux partenaires engagés sur les questions de durabilité, d’en rencontrer de potentiels nouveaux, mais aussi de mieux comprendre les chantiers entrepris par ces derniers et les points urgents à aborder. On salue aussi le travail réalisé en France par le projet Drastic On Plastic qui profitait de l’Espace DD pour tirer un premier bilan depuis la signature de sa charte en janvier 2020. D’ici peu l’ensemble des ressources, jusqu’alors uniquement accessibles par les membres, seront disponibles pour tout un chacun.
Pour EventChange, acteur de la transition et de la durabilité en Belgique, participer aux BIS est surtout l’occasion de se remettre en question sur nos pratiques et de constituer de nouvelles réflexions pour permettre d’entrevoir des actions et solutions alternatives à ce qui existe déjà chez nous. L’Hexagone, de par sa taille et le nombre croissant de projets culturels et événementiels qui s’y développent, est une source d’inspiration intarissable qui ne peut que nous inspirer, nous animer et nous guider dans toute une série de bonnes pratiques applicables ou adaptables à la Belgique.
C’est donc inspirés et avec des projets plein la tête que nous avons repris le train depuis Nantes vers le nord pour mettre en application les apprentissages bretons le plus rapidement et efficacement possible.
Pour aller plus en profondeur dans le contenu durable des BIS, découvrez nos articles sur le bilan et la compensation carbone ainsi que sur les clauses d’exclusivité des artistes (à venir).
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¹ Rapport “Clean Scene” 2021.
² Cfr étude du Collectif des Festival réalisée dans le cadre du projet via la méthodologie Bilan Carbone.
³ Idem.