[Regards croisés] Culture et Durabilité – Rapport de la journée à Bruxelles du 21 mai

Au premier semestre 2024, Pulse, EventChange et SamenDurable* ont organisé 3 activités bi-communautaires et inter-régionales pour les acteur·ices culturel·les à travers la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, dans le but de briser les silos, partager des idées et une réflexion critique, favoriser la dissémination et la traduction d’initiatives durables du secteur culturel belge.

Après une première rencontre au Théâtre de Liège (19/02) axée sur les enjeux durables au sein d’une institution et une deuxième journée à Gand (26/03), centrée sur la dimension d’un territoire, en collaboration avec Greentrack et VierNulVier, le troisième et dernier événement au Globe Aroma à Bruxelles le 21 mai s’est construit sur la force qui caractérise le secteur culturel : les compétences artistiques. 

Point de départ

La pensée et l’action artistiques peuvent stimuler notre imagination et changer radicalement notre perception. N’est-ce pas exactement ce dont nous avons besoin aujourd’hui ? Innovation, imagination, prise de risque, agilité et esprit critique, mais aussi sensibilité sociale, connexion et empathie. Quelle est la valeur de ces compétences artistiques en temps de crise ? N’est-il pas temps de cesser de considérer l’art comme un luxe, mais comme une nécessité sociale ?

Plus de 50 participant·es d’horizons variés se sont réuni·es à Globe Aroma pour un débat critique sur les questions et les besoins du secteur vis-à-vis de la politique, de son propre mode de fonctionnement et de la force de ses compétences spécifiques. 

Radical times ask for radical solutions

Trois artistes/collectifs – qui ont suivi l’ensemble des rencontres Regards croisés – ont imaginé, dans une visée prospective, leur pratique artistique en 2035. 

Christophe Meierhans (Contrepied) emmène le public dans un exercice de pensée où les institutions ont disparu. Il dépeint un monde où l’art est descendu de son piédestal et fait désormais partie intégrante de notre vie quotidienne. 

Jeff De Maeyer (collectif Terreurwilg avec Flora Van Canneyt) pense que l’art peut s’adapter. Il espère que d’ici 2035, la prise de conscience de la nécessité de produire en harmonie avec les limites de notre planète sera la nouvelle norme. Parmi les créateurs, les institutions et les gouvernements (qui les subventionnent). 

Le Collectif 3e Vague (Maxime Arnould, Aurélien Leforestier et Léa Tarral) propose dix solutions concrètes pour 2035. Dans cette démarche prospective, le secteur culturel belge a dû suspendre ses activités en raison de l’insuffisance des ressources et du constat des conditions de travail. En conséquence, de nouvelles propositions émergent : un décret pour des directions plus inclusives, décoloniales et féministes ; des institutions qui abandonnent la notion de première et d’exclusivité, dans une dynamique non-concurrentielle ; une fin des gros festivals internationaux démesurés et impactants ; une priorité donnée au partage et à l’open source de l’art ; un modèle d’impôt de solidarité grâce à un portefeuille commun ; des créations diffusées sur un temps long, dans une logique de partenariat et de production locale ; un sens politique de l’art retrouvé… Pas de « rupture totale », mais un système d’autorégulation fort, basé sur une large solidarité sociale.

Lost in Transition

Elena Polivtseva est chercheuse indépendante en politique culturelle européenne pour l’Institut Goethe, l’IETM et l’IFACCA. Sa présentation s’inspire d’une rencontre de l’IETM au Luxembourg en novembre 2023 qui a rassemblé 122 professionnel·les des arts. 

La question principale est celle, récurrente, de « comment un secteur fatigué peut-il changer le monde actuel et quelle est sa responsabilité dans la transition ? ». Et parallèlement : « comment se fait-il qu’un secteur aussi varié, multiforme et puissant soit si peu sûr de lui et de son rôle dans cette transition ? »

Cinq devises qui pourraient constituer la base d’un « secteur vert »

  • Accepter les responsabilités

Nous assumons des responsabilités là où nous le pouvons et dans les limites de ce qui est faisable.

  • Transformer le système

Nous ne mettons pas notre énergie à lutter contre le système, mais à le changer de l’intérieur. 

  • Explorer, piloter et mettre à l’échelle les solutions

L’expérimentation fait partie de l’ADN du secteur : exploitons-la, l’expérimentation fait partie de la solution, mettons-la également en œuvre dans des structures plus importantes.

  • Etre présent dans l’instant et travailler sur le long terme

Ne perdons pas le contact avec la réalité, soyons présent dans l’instant, mais pensons et travaillons sur un temps long

  • Aspirer à la justice sociale

Cherchons toujours des formes qui soient inclusives et qui profitent au plus grand nombre possible de personnes.

Cinq devises qui devraient constituer la base d’une « politique culturelle verte »

  • Transformer la reconnaissance en meilleures conditions

La reconnaissance reste plutôt symbolique, il faut la rendre réelle en ajustant les circonstances/conditions et en récompensant la capacité de travail.

  • Accueillir l’inattendu dans l’art

La grande force de l’art est qu’il est inattendu : inattendu = puissant

Saisissez ce pouvoir, utilisez-le en façonnant la structure politique qui ne va pas automatiquement de pair avec les principes utilitaires actuels du secteur. Essayez de les transcender, en commençant par penser différemment à vos structures de financement. 

  • Être un allié, pas un point de pression

Considérez le secteur comme un partenaire pour le changement social, le changement de comportement et d’attitude au lieu de toujours l’engager comme un activiste de gauche. Traitez les partenaires comme des égaux plutôt que comme un groupe de professionnels qu’il faut contrôler par-dessus tout. 

  • Se concentrer sur les communautés, pas sur les publics

Se concentrer sur les « communautés », les mouvements et les collectifs, le soutien et l’appropriation. Ne pas se focaliser sur le « public », mais sur les citoyens, faire de l’art et de la culture un dialogue et une circulation à double sens, au lieu d’un monologue sur un piédestal.

  • Soutenir l’art au-delà du projet

Transcender la pensée et le travail basés sur le projet : et si TOUS les aspects impliqués dans le processus de création, stimulant le dialogue et le tissu, étaient également pris en compte ?

Dans les recherches réalisées sur les programmes culturels actuels des 27 États membres de l’UE, Elena Polivtseva n’a malheureusement trouvé aucune de ces visions. Lorsqu’on lui demande si nous avons besoin d’une politique « verte » spécifique , elle répond : “Nous n’avons pas besoin d’un guide en plus des politiques culturelles, nous devons repenser la politique culturelle par en dessous et depuis l’intérieur, d’une manière qui soit naturelle pour le secteur culturel. Partons du véritable pouvoir qui est si typique des secteurs culturel et créatif. Il semble nécessaire de réinventer le secteur, au lieu de suivre le mode de pensée actuel. Le point de départ, la base, devrait être d’essayer de travailler différemment avec les gens.“

Elena Polivtseva

Quelle est la stratégie pour adapter en profondeur une telle politique ? Elena Polivsteva se réfère à la récente publication de Justin O’Connor intitulée « Culture is not an industry« ,

comme source d’inspiration. Ce spécialiste australien de la culture plaide pour une réévaluation de la valeur intrinsèque de la culture : une approche qui va au-delà de l’économisation de la culture et donc de « l’industrie créative ». L’art et la culture devraient être un élément essentiel de la démocratie : un lieu où les idées peuvent être examinées librement et un terrain propice aux changements radicaux. Cependant, l’industrialisation de la culture a pour effet d’évincer la manière dont elle peut contribuer à l’imagination politique.

Groupes de travail

L’après-midi, les participant·es se sont réparti·es en quatre groupes de travail, afin de réfléchir et échanger sur les thèmes suivants, constitutifs d’une transition juste, dans laquelle l’art et la culture jouent un rôle de premier plan : 

  • Travailler à la transversalité : Tom Stevens (Reset) et Adrienne Nizet (The Shift)
    Il existe déjà d’innombrables bonnes pratiques dans le domaine, mais elles ne sont pas encore assez visibles et demeurent sectorielles. A une petite échelle, au niveau local, il est démontré que des pratiques transversales fonctionnent particulièrement bien et brisent les silos.
  • La politique du climat à l’échelle du secteur : Ann Overbergh (Kunstenpunt) et Brigitte Neervoort (coordination RAB/BKO)
    Développer des politiques adaptées, qui reconnaissent le secteur comme un acteur clé de la transition, en lui donnant un cadre tout en le laissant libre de se développer, par expérimentations, comme « exemplaire ». La confiance et le temps, l’espace et les ressources suffisantes sont des thèmes récurrents.
  • L’art, la transition et la participation : Benoit De Wael (Park Poetik) et Anne Watthee (Cultureghem)
    Grâce à l’échelle de participation, aplanie et décolonisée, la justice sociale et l’inclusion deviennent des principes de base d’une transition qui non seulement ne laisse personne de côté, mais qui sait aussi qu’elle gagne à écouter et à embrasser une diversité de voix.
  • La pratique artistique comme modèle : Nicolas Galeazzi & Liselore Vandeput (State of the Arts)
    La pratique artistique comme modèle et ses compétences comme atout. Sans vouloir la contrôler et l’instrumentaliser, mais au contraire en la libérant et en lui donnant ainsi des ailes pour ensuite en récolter les fruits.

*SamenDurable est une initiative des réseaux culturels bruxellois RAB/BKO, Brussels Museums, La Concertation Action Culturelle Bruxelloise (LAC), en étroite collaboration avec EventChange et Pulse Transit Network. SamenDurable est soutenu par la Loterie Nationale, la Ville de Bruxelles, la Communauté flamande, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la COCOF.

Version néerlandophone : https://www.pulsenetwerk.be/nieuwslijst/verslag-regards-croises-brussel